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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.

18 avril 2024

Battles. Partie 2. Londres. Rencontrer Daphne.

 

Alors qu'il commençait à travailler, Paul rencontra dans un pub une jolie fille venue là avec une amie. Elle était souriante, stylée et élégante.  Il la sentit sur la réserve sur sa réserve et cela lui plut. Paul se trouvait lui-même avec un enseignant de l'école de journalisme qui avait, plus que lui, l'air d'un homme établi. Paul la savait volage mais il ne tenait pas à passer pour un de ces époux qui craignent le passage du temps et se rassurent en plaisant à une fille jeune. La conversation s'engagea et il vit que la jeune femme savait faire la part des choses. Si l'un des hommes portait beau et parlait trop, l'autre savait se tenir. Elle l'observa. Quand la soirée prit fin, l'inconnu lui fit comprendre qu'il était charmé mais ne fut pas insistant. Curieusement, elle mit du temps à faire le lien. Cet homme, qui ne paraissait pas anglais, c'était ce Paul Kavan dont on lui rebattait les oreilles. Cet homme de l'est que la Grande Bretagne accueillait et qi avait connu bien des sévices. Elle fut flattée : il l'intéressait. Ne parlant ni de ses origines ni de ses études, elle lui expliqua  d'abord qu'elle travaillait dans une librairie. Mince, longiligne et gracieuse, elle s'habillait avec goût et audace, portant des jupes courtes qui lui faisaient tourner la tête. Ils ils se mirent à se voir régulièrement et échangèrent sur maints sujets. Ils s'entendaient bien et rapidement, cette rencontre prit une tournure inattendue.  Paul était très attirée par elle et elle par lui. Quand tout se noua, elle parla. C'était une fille de la haute qui vivait dans les privilèges.

-Donc, ton père est Lord Brixton ?

-Oui.

-Mais moi, tu sais...

-Tu es un immigré ? Laisse- moi rire.

-Moi, je ne ris pas vraiment.

-Paul, la presse anglaise t'encense et elle a raison. Difficile de ne pas être impressionné par ton parcours ! Il n'y a pas si longtemps, tu étais en prison et tu enseignes maintenant dans une école de journalisme très cotée. Tes étudiants raffolent de tes cours !

-Reste mon âge...

-Et le mien, j'ai vingt-huit ans...Laisse- ça, Paul.

Il obéit. Ils avaient une liaison. Elle l'enivrait. Elle lui parla de sa famille. Lord Alistair Brixton, son père, qui passait le plus clair de son temps sur la Côte d'azur, était un aristocrate lettré doublé d'un grand connaisseur de la philosophie grecque classique, qu'il traduisait à ses heures. Sa mère, très mondaine, était une bonne harpiste et une mélomane avertie. Daphné était la seule fille d'un ensemble de trois enfants. Elle était bien moins rangée que ses frères aînés, déjà mariés et pères de famille et bien plus ouverte et curieuse de tout. Quand elle retournait dans sa famille, elle montait à cheval dans le parc de leur manoir du Kent ou jouait au cricket mais à Londres, elle lisait beaucoup mais s'amusait aussi. Son intérêt pour la librairie dans laquelle elle travaillait était motivé par ses projets. Elle-aussi voulait créer un bel espace plein de livres mais elle le voulait inattendu et multifonctions...Paul la trouvait étonnante car, tout en respectant les conventions de son milieu, elle allait de l'avant, refusant de plier intellectuellement. Il aimait qu'elle eût les moyens financiers de réaliser ses rêves, qu'elle ne reniât pas ses origines et qu'elle surtout qu'elle le prît comme il était. Elle était libre d'elle-même, jolie et d'agréable compagnie. Elle lui plaisait. Elle avait écrit un roman d'espionnage parodique, avec une belle espionne et il relut son texte avec elle. Elle l'écoutait avec attention, tenant compte de ses remarques qui portaient davantage sur la trame que sur sur la langue, compte-tenu du fait que l'anglais n'était pas sa langue maternelle. Elle devait surprendre dès le départ et toujours créer la surprise !

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18 avril 2024

Battles. Partie 2. Coilin, le fils prodigue.

 

Colin, ce fils qu'il ne voyait plus depuis huit ans, vint à Londres et il le rencontra avec appréhension, se souvenant de la rancœur de Lisbeth. Il se trompait en pensant que ce jeune homme de vingt-six ans, désormais avocat à New York, aurait contre lui la moindre rancune. Au contraire, il n'était que compliments. Alors qu'ils dînaient dans un élégant restaurant londonien, celui-ci lui dit lui dit :

-Beaucoup ont regretté de ne pas avoir fait les bons choix au bon moment ! J'avais dix-sept et la situation n'était pas encore aussi tendue en Ambranie, mais vous avez été très clairvoyants. Je pouvais plus vous voir, c'est vrai, et pendant quelques années, je n'ai plus eu aucun contact avec vous mais je n'ai jamais regretté quoi que ce soit. Je suis avocat en droit international et je sais bien ce qui se passe là-bas !

Il évoqua ses retrouvailles avec Lisbeth et la décision qu'ils avaient prise de ne pas revivre ensemble. Colin fut compréhensif.

-Maman est comme ça, elle s'emporte vite. Elle est venue deux fois en Amérique. Elle a adoré Boston et New York. Vous vous êtes éloignés l'un de l'autre et c'est dommage mais elle parlait de toi, elle avait peur.

Çà l'a retournée complètement qu'on t'ait mis à Étoile. Elle a vraiment cru qu'on te tuerait. Et quand elle t'a revu, je suis sûr qu'elle a été contente que t'en sois sorti vivant !

-Certainement...

-Vous êtes soudés malgré tout. Je le sais.

18 avril 2024

Battles. Partie 2. Paul et Colin. Père et fils se ressemblent.

Paul pensa qu'il disait vrai mais il resta prudent. Colin vivait ailleurs. L'Ambranie était si lointaine ! Mieux valait se concentrer sur leurs ressemblances. Jeune homme, il avait eu cette faconde, cette assurance et physiquement, il avait été aussi charmant. Son fils avait des cheveux bruns et épais comme avaient été les siens et les mêmes yeux marron-vert. Et cette façon de sourire, il la reconnaissait ! Et il y aussi avait cette générosité spontanée qui ne devait pas toujours cadrer avec sa très sérieuse profession.

-Tu es un exilé, ce n'est pas une position facile mais à priori, tes cours ont beaucoup de succès...Tu sais, ça ne m'étonne pas ! Enfant, quand tu parlais, j'étais fasciné...Ici, les étudiants t'adorent...

-On dirait bien...

-Dormann est sur la sellette, tu sais...

-Car l'ONU prend trois vagues mesures contre lui ?

-Tout de même, ça le gêne. L'Ambranie ne reçoit plus autant d'armes, il n'y a pas de pétrole et plusieurs pays ne le livrent plus en matières premières...

-Eh bien, tu penses que ça suffira ?

-Il a reçu des remontrances de la part des USA. Il ne doit pas donner une image aussi rigide de gestion d'un état. On lui demande des comptes sur sa façon de gérer ceux qu'il appelle des opposants...

-Et que dit-il ? Qu'il ne comprend pas...

-Il a pris le pouvoir par la ruse, s'est appuyé sur l'armée et la milice…Ce que disent les dirigeants comme lui, tu le sais bien. Tu es un journaliste et pas n'importe lequel ! Et puis, il n'a que onze ans de pouvoir !

-Tu trouves que c'est peu ?

-L'échiquier politique est ce qu'il est. L'Ambranie a été laissée à elle-même et Dormann a pu y en place une dictature avec tout l'attirail nationaliste et progressiste qui accompagnent ce type de régimes. Beaucoup de grandes puissances ont fait preuve d'indifférence. Un si petit pays !  Mais, je crois que le vent tourne...

-A quoi penses-tu ?

-Il n'avait aucune difficulté avec les pays voisins mais tous sont en tension diplomatique avec lui ces temps-ci. Or, ces pays ont de puissants alliés qui depuis quelques temps trouvent ce tyran d'un autre âge de mauvais goût...

-Tu penses à un coup d'état fomenté par l'Amérique ?

-J'y ai pensé, oui, ça se tient. Mais je ne suis pas sûr que ce sera sous cette forme.

-Une insurrection populaire ?

-Ce serait magnifique, père, mais je pense que là, tu plaisantes...

-En effet ! C'est peu réaliste. Un référendum encore moins. Ce vieux monsieur qui appellerait aux urnes...

-Il tombera. D'ici deux, trois ans, il tombera.

-Il a un dauphin...

Colin hocha la tête.

-Tu sais, j'ai attendu pendant si longtemps de te revoir ! Tu as tenu bon pendant six ans là-bas, deux à dire ce que tu pensais en esquivant comme tu pouvais les intimidations et les menaces et quatre en faisant de la radio clandestine. Personne, dans ce pays, n'a tenu aussi longtemps que toi. Je suis ton fils, je suis avocat en droit international et quand ce régime de fanatiques se sera effondré, je t'aiderai ainsi que maman à récupérer tes biens. J'en aiderai d'autres, bien sûr. La démocratie reviendra dans ce pays. Je veux la voir fleurir à Dannick ! Et quand ce sera le cas, tu voudras y retourner...On te donnera peut-être même une place au gouvernement !

18 avril 2024

Battles. Partie 2. Angleterre. Paul et son fils Colin.

 

Ce n'était pas le moment de dire à Colin qu'il n'était pas sûr de vouloir rentrer un jour...Son garçon était pudique. Il ne prenait pas certains sujets de front, la prison par exemple et la détention pour motifs politiques. Son père devait avoir des séquelles de son passage à Étoile. Les services secrets américains étaient de mieux en mieux renseignés sur ce qu'on y faisait subir aux détenus et il avait eu accès à quelques dossiers. Mon Dieu...Comment avait-on traité son père ! 

-Tu te sens en sécurité à Londres ?

-J'ai une belle petite amie...

-Père, je ne plaisante pas.

-Il n'y a que quelques mois que je suis ici et tu l'as dit, je suis un exilé. Je fais attention à qui je vois et je n'accorde d'interviews qu'à certains magazines. Pour le reste, je vis dans un immeuble sécurisé, mon appartement est sous alarme et j'ai une arme. J'ai appris à tirer.

-Tu n'es pas inquiet ?

-Non. Je devrais l'être sans doute.

-L'Ambranie a une représentation diplomatique en Angleterre, n'est-ce pas...

-Oui. Je crois comprendre ce que tu essaies de me dire.

-Jamais de courrier bizarre, de rencontre ?

-J'ai été abordé à mon arrivée par d'autres ressortissants ambraniens qui voulaient frayer avec moi, me convoquer à leurs dîners et me faire adhérer à ce je sais quelles associations...Mais j'ai fui. Une sorte de prémonition...A cause de mon arrivée peu classique en Grande Bretagne, j'ai pensé qu'il ne fallait pas rejoindre un groupe de ce type ou un autre. Je reconnais que pour eux, ça a dû être vexant...

-Peut-être mais c'est sage.

Paul n'épilogua pas mais il rassura son fils :

-Je sais ce qui m'est arrivé. Si je dois me défendre, je le ferai. Mais changeons de sujet, veux-tu ? Parle-moi de Lisa.

-Elle est restée à Boston, je la vois beaucoup moins. Je sais que vous êtes contactés plusieurs fois et qu'elle projette de venir te voir. Elle a vingt-trois ans, tu vois, et a n'a pas encore terminé son cursus en médecine mais elle est amoureuse et veut se marier. Elle devait venir en même temps que moi mais a différé...

-Qui est l'heureux élu ?

-Un médecin chef d'un hôpital où elle a fait un stage. Je l'ai vu plusieurs fois.

-Et ?

-J'ai du mal à en parler. Un quadragénaire un peu bourru, à cheval sur son boulot...

-Bon mais il y a autre chose : Lisa est fâchée contre moi.

-Elle avait à peine quinze ans quand on est arrivé en Amérique. Elle t'adorait et elle a mal vécu que tu la fasses partir. Elle ne voulait pas être séparée de toi et elle l'est depuis des années. Maintenant, elle se demande qui tu es.

Paul soupira.

-Et elle se sent très américaine...

-C'est clair. Mais elle viendra.

-Vraiment ?

-Oui, père et moi aussi, je reviendrai.

Cette conversation était lourde mais elle lui donnait de l'espoir. Il avait retrouvé Lisbeth et Colin. Il retrouverait Lisa.

Et en effet, elle vint. Son frère l'accompagnant, elle tenta de faire bonne figure. Paul avait laissé derrière lui une adolescente mince aux cheveux blond-roux ; il retrouva une jeune femme aux formes pleines et aux cheveux courts. Elle avait les mêmes yeux que Lisbeth et bien des traits de son caractère dont l'irritabilité. Ses débuts aux États-Unis avaient été difficiles mais comme elle aimait les études, elle s'était posée des défis et s'en était bien sortie. Cependant, dès qu'il s'agissait de ses parents biologiques, elle restait farouche, leur préférant John et Mary Frankenheimer, ceux qui les avait accueillis au départ, Colin et elle.

-Tu vas bien ?

-Oui, père.

-C'est difficile pour moi-aussi, tu sais. Tu as tellement changé !

-Au point que tu ne peux pas me reconnaître, n'est-ce pas ?

-Mais Lisa, si je te reconnais. Il y a une distance entre nous...

-Une grande distance.

18 avril 2024

Battles. Partie 2. Angleterre. Paul et sa fille Lisa. Difficile compréhension.

 

Daphné, à qui Paul s'était ouvert de la venue de ses deux enfants, proposa de leur céder pour six jours un appartement qui appartenait à sa famille. Situé dans le quartier de Kensington, il était meublé mais pour le moment vide. Que le frère et la sœur puissent y être seuls à de nombreux moments et planifier des sorties à deux ne pourrait que détendre l’atmosphère...Elle fut pourtant électrique quand ils se virent tous ensemble car la jeune fille n'arrivait pas à dire à son père ce qu'elle lui reprochait et se barricadait dans l'agressivité, malgré les efforts de Colin pour que le dialogue existe.

-Daphne est très généreuse.

-Ma mère aussi.

-Nous sommes séparés, tu le sais. Et j'aime Daphne.

-Elle a vingt-huit ans !

-Et ?

-Et je te juge, père. C'est mal. Elle est trop jeune ! 

Ce fut pire quand Lisbeth arriva d’Écosse pour les voir tous les quatre et Paul sortit épuisé d'un déjeuner où sa femme et sa fille se montrèrent odieuses, Colin tentant de défendre son père. Curieusement, ce fut Daphné qui lui sauva la mise. Pourquoi se disputer ? Chacun vivait une situation exceptionnelle Il fallait laisser le temps au temps. Ils firent des visites, des excursions, allèrent au spectacle. Daphné était en retrait. Tant bien que moi, le couple défait et leurs deux enfants tentèrent un rapprochement. Au moment du départ, Lisa était d'accord pour revenir en Angleterre sauf si son père avait la possibilité d'aller aux USA. Colin ferait des allers et retours et, comme sa sœur, il verrait son père et sa mère.

Se retrouvant seul avec Daphné, il se dit soulagé.

-Difficile !

-Vous vous êtes parlés.

-Mon mariage était curieux. Nous étions aimants et dissonants. Lisbeth soutient qu'au fond, j'aime être fasciné par les femmes, les séduire et les pénétrer mais que je ne suis pas à même de les aimer pour ce qu'elles sont.

-Tu souscris ?

-Plus maintenant.

-Elle dit autre chose ?

-Oui, elle pense qu'au fond, la camaraderie masculine est plus simple pour moi. Il y a une émulation, un respect mutuel, une camaraderie qui exclut toute surenchère. Selon elle, ça me rassure.

-Sans ambivalence ?

-Elle en met une.

-Et toi ?

Paul allait répondre non quand il fut pris par la peur. Dans un coin de sa mémoire, se terrait un homme blond, hiératique et fier. Et il savait de quoi il retournait. Pouvait-il en ce cas être catégorique ?

-Tu ne dis rien ?

-Je dis non.

-Tu sais, la plupart des liens humains sont ambivalents.

-Me concernant, ils sont clairs. Je suis amoureux de toi.

Daphne sourit.

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18 avril 2024

Battles. Partie 2. Paul écrit sur la prison Etoile.

 

 

4. Succès et revers. Paul à Hollinghurt.

Paul se met à publier des livres où il évoque l'univers carcéral d'Etoile et son propre emprisonnement. Le succès est là mais les critiques aussi. Paul, sentant non seulement qu'il est menacé, mais que Daphne l'est aussi, décide de se mettre à l'écart.

Un an s'était écoulé quand il comprit qu'il devait parler de ce qu'il avait vécu. Jusque-là, il avait accordé des interviews mais n'avait rien écrit de concret. Il devait le faire, maintenant qu’il n’était pas assez reconstruit pour affronter les critiques anglais, la radio et la télévision. Soupçonnant que les réseaux sociaux s'empareraient de ses propos pour les déformer, il était prêt à se défendre. Il commença par reconstituer le texte de ses allocutions radiophoniques et les intercala avec des extraits de discours de Dormann et des photos de son pays, rien d'atroce, juste des vues des villes et de leurs monuments. « Dans l'Ombre » fut un succès éditorial parce qu'il poursuivait des buts simples : montrer la beauté d'un pays qui glisse dans la dictature et son très fort patrimoine littéraire et artistique, qui se trouve laissé à l'abandon et pointer l'extrême difficulté qu'il y a à tenter de toucher les consciences quand on est entré en clandestinité. C'est Daphné qui l'avait poussé à accéder à la demande d'un éditeur qui saurait respecter son travail et il ne put que se féliciter de lui avoir fait confiance. D'ailleurs, sa jolie compagne l'avait aidé dans le choix et l'ordonnance des photos qui devaient paraître poignantes sans tomber dans le pathos ou la propagande. Six mois après, son ouvrage était en rayon. L'entreprise avait été menée à terme.

-Ton livre se vend très bien ! Je suis fière de toi.

-J'espère que les lecteurs comprendront les effets dévastateurs de la dictature dans mon pays.

-Mais ils comprennent !

-Ce sont les drames qui s'y déroulent qui sont importants !

-Mais Paul bien sûr ! Et n'oublie pas...

-Un compte Twitter et Instragram...

-Paul, je suis sérieuse !

-Mais moi-aussi...

-Tout le monde fait ça....

-Je verrai.

-Un blog d'auteur, aussi...

-Tu m'en as déjà touché un mot...Plusieurs, à vrai dire...

-Tu devrais me prendre au sérieux et cesser de rire !

-Difficile...

Daphne avait raison : son livre plaisait même si elle en exagérait les ventes. Il n'avait rien lu de négatif sur son celui-ci mais il avait commencé à écrire sur son pays et il allait poursuivre. Il n'était jusqu'ici qu'un quidam malgré ses quelques apparitions télévisées et ses passages à la radio mais, il le savait, il voulait frapper fort. Il avait une arme chez lui et s'il se promenait seul, il l'avait sur lui. Elle l'ignorait. Il avait de mauvais pressentiments.

 

Daphné exultait. Il aimait qu'elle soit heureuse car elle devenait plus jolie encore. Une Anglaise brune aux yeux gris vert, qui aurait dit qu'il en rencontrerait une d'aussi stylée ? Bien sûr qu'elle était très jeune mais elle lui redonnait un amour de la vie que ses années difficiles avaient failli lui faire perdre ainsi qu'une redécouverte merveilleuse de la sexualité et de la sensualité. Il retrouvait, en faisant l'amour avec elle, cette façon magnifique qu'on a de traverser l'autre en saisissant tout de lui, signe qu'on en est tombé amoureux...

18 avril 2024

Battles. Partie 2. Des écrits sur la prison Etoile.

 

Mis en confiance son succès éditorial, Paul reprit le court mémoire qu'il avait écrit sur son incarcération à Étoile alors qu'il était en Suède. Il l'avait d'abord conçu comme un texte à orientation documentaire et il choisit la troisième personne. Toutefois, conscient qu'il élargissait son propos en parlant du système carcéral en général et des spécificités de la prison Étoile en particulier, il voulut frapper plus fort en l'écrivant à la première personne. Ce serait une peinture cruelle mais juste de ce qu'entraîne la privation de la liberté et l'absence de tous droits sociaux et surtout, ce serait son ressenti. Paul fut très précis sur les brimades rencontrées lors de son arrivée, le passage par différents ateliers où le travail donné n'avait aucun sens et ce qu'on lui avait demandé de faire, une fois qu'il avait été rééduqué. Il évoqua ces cours dispensés à des femmes dociles pour que le documentaire tourné sur elles « fasse » vrai mais il fut très théorique pour ce qui était de sa transformation et du rôle des instructeurs. On comprendrait qu'il avait été frappé, drogué aux médicaments et contraint de se plier à la doctrine du chef...

Ce texte court, d'environ cent pages fut publié par le même éditeur qui avait tenu à ce qu'il soit très percutant. C'était une charge. Quand il parut, il fut cette fois très commenté. Intitulé « Face à ceux qui détruisent », il eut davantage de succès. Cette fois, l'exposition médiatique de Paul augmenta.

La presse titrait :

-Un texte bref mais fort sur une prison qui tient ses promesses ! A lire d'urgence pour en savoir plus sur la prison Étoile !

-Voyage au pays de la tyrannie. Le récit haletant de Paul Barne !

-Paul Barne et l 'Ambranie : le récit tant attendu de son emprisonnement.

-De la résistance à la prison politique : voyage en enfer...

 

Les journaux à grand tirage parlaient de lui et il accepta de participer à une émission littéraire, à la radio, il est vrai...A l'école de journalisme où il enseignait toujours, ses cours, déjà recherchés, furent littéralement pris d'assaut et on lui offrit même une chronique dans un hebdomadaire anglais, qu'il accepta. A partir de là, il n'était pas difficile de comprendre qu'on chercherait davantage à savoir qui il était. On découvrirait où et pour qui il travaillait, quel était son statut marital et quelle femme il fréquentait... On trouva des photos de lui à des âges divers et sur internet, elles furent faciles à contempler. Encore tout jeune, il était à Berlin ou à Londres pour ses études et souriait, dans le bel élan de sa jeunesse. Il était enfant et posait à Dannick avec son père. Dieu du ciel ! Où avait-on déniché cette photo ! Ainsi que celle où il posait avec ses frères ! Tiens, sa mère était au piano et c'était il y a si longtemps ! Et là, il était avec sa femme quand tout allait encore bien. Quelques fanatiques de son œuvre pourtant réduite faisaient des photos sur You Tube et les commentaires fusaient. Dans certains cas, on commençait à lui faire dire ce qu'il ne disait pas...En des temps où tout passe par l'image et la surexposition, les réticences de Paul à se montrer et à s'exprimer en dehors de l'espace de ses livres, parurent très séduisantes. Il se promit de ne pas céder puis le fit et commença à le regretter. Sachant que s'il ne publiait pas avant un bon moment, l'intérêt qu'il avait suscité retomberait, il pensa au texte qui complétait la trilogie. Il avait eu du mal à l'écrire et savait de toute façon qu'il lui faudrait l'améliorer. Il avait bien parlé de rééducation mais peu des rééducateurs et surtout très mal du sien. Ce livre qui parlait de lui tel qu'il était. Le mettre à jour n'était pas si compliqué. Cependant, au bout de deux tentatives, Paul s'arrêta. Ses pressentiments négatifs se consolidaient.  La dictature de Dormnan, malgré les sanctions prises, ne s'effondrait pas. Les arrestations n'étaient moins nombreuses que parce qu'elles n'étaient pas faites de la même manière. Et puis, un dictateur a toujours des soutiens solides et ici même, en Angleterre, celui-là en avait. Et des voix s'élevaient désormais pour dire que Paul affabulait.  Ces exactions ? Cette prison ? Ah oui certes, on ne laissait pas tout faire en Ambranie mais il fallait avoir un esprit bien enfiévré pour décrire sa patrie de cette façon. Rééduquer et non tuer ? Était-ce vraiment contestable ? Des témoignages radicalement opposés à celui fourni par les opuscules de Paul Kavan pouvaient se trouver...

18 avril 2024

Battles. Partie 2. Echapper aux attaques.

 

Daphné constata qu'une certaine presse ordurière commençait à faire de son mieux pour s'en prendre à lui. Bien peu de lecteurs en vérité et beaucoup de bruits pour rien, certes, mais il s'agissait d'attaques en règle.

-Tu ne dis rien au hasard. Tes écrits sont fondés.

-En tant que journaliste et observateur, je me dois d'être prêt à être contredit. Je le suis même si les attaques viennent de groupuscules d'extrême droite. 

-Attaque-les. Ils te diffament.

Quelque chose disait à Paul que c'était la dernière chose à faire.

-Pas pour le moment. J'ai besoin d'une pause.

Il fallait l'extraire de Londres !

-Tu as besoin de vacances !

-Je peux rester à Londres. Cette ville est inépuisable. Je ferai des visites...

-Non, viens à la campagne ! Londres, tu n'en bouges quasiment pas depuis deux ans et demi !

Elle voulait lui faire découvrir les terres familiales. Cette idée plut à Paul qui se vit en châtelain avant de l'inquiéter. Cesserait-on de l'attaquer parce qu'il se prélassait chez les riches ? Il pensa que non puis céda à la gaîté de Daphné. Après tout non, il ne s'agissait que de deux livres...

-On va se détendre ! Tu vas voir : c'est beau là-bas !

-Je n'en doute pas.

Une première année mouvementée, une seconde passée à écrire, la vie anglaise, cette jeune femme amoureuse, c'était beaucoup !

 

Pourtant, alors qu'il préparait ses bagages, il trouva une enveloppe glissée sous sa porte. Elle était blanche et était doublée de rouge. Quand il l'ouvrit, il trouva une feuille pliée en quatre. Elle ne comportait qu'une ligne :

 

Paul, deux livres publiés

Des bavardages insupportables

ça va suffire ?

 

S'il n'avait été à Étoile, Paul n'aurait pas fait grand cas de ce message. Il pouvait après tout émaner d'un voisin de palier peu aimable qui n'aimait pas ses manières. Mais il avait été emprisonné et malmené. Et de plus, Nikivst, le chirurgien suédois, avait évoqué une empreinte psychique difficile à neutraliser. Ce message était un avertissement, il en avait pleine conscience. Il ne le détruisit pas et le rangea dans un tiroir. Comme il refermait celui-ci, il vit deux yeux bleus qui le scrutaient. C'était ceux de l'instructeur Winger.

18 avril 2024

Battles. Partie 2. Paul et Daphne à Holinghurst.

 

Dans le Kent, à cinquante mille au sud-est de Londres, le manoir d'Holinghurst avait une petite partie médiévale et de nombreux additifs datant des dix-septième et dix-huitième siècle. C'était un petit bijou entouré d'un vaste parc, où on vivait préservé du monde moderne, allant de promenades à cheval en réception et de bains dans des étangs à des soirées concert. Le père de Daphné était Lord Alistair Brixton et sa mère, roturière à la base, était devenue noble par son mariage. Tous deux traversaient leurs vies avec une extrême élégance, qu'elle fût vestimentaire ou verbale et chaque journée répondait à un cérémonial spécifique. Par chance, quand Paul et Daphné arrivèrent, le comte était là. La plupart du temps, il était en France où il aimait à vivre soit sur la Côte d'Azur soit à Monte Carlo. Il y avait beaucoup d'amis anglais et ne s'y ennuyait pas. Content de voir sa fille, il ne s'offusqua pas qu'elle lui qu'elle lui présentât un étranger de plus quinquagénaire et roturier et leur donna à choisir entre une chambre au château et les dépendances. Daphné choisit l'un et l'autre, sachant que Paul serait plus à son aise dans un bâtiment annexe où il pourrait lire et se prélasser à son aise. Adroite, elle respectait son goût pour l'indépendance. Mécontente de son premier roman, qui n'avait pas obtenu selon elle un succès assez grand, elle projetait d'en écrire un autre et cette parenthèse de deux semaines lui fournirait l'énergie nécessaire. Paul, quant à lui, avait décrété cette période bien trop longue mais il avait besoin de répit et adorerait très vite les distractions offertes par le manoir. Elle l'avait escompté et elle comprit très justement qu'elle avait gain de cause.

Son père était un excentrique cultivé. Quand il était au château, il s'occupait de faire venir des troupes de théâtre et des concertistes pour animer les soirées et il s'occupait d'acheter et de vendre des chevaux, certains participant à des concours hippiques. En France ou à Monte Carlo, il traduisait Pindare et Eschyle....Il avait les manières simples d'un grand seigneur.

-Il y a une vingtaine de très beaux chevaux ici ! Nous irons nous promener.

Il y avait très longtemps que Paul n'avait pas fait d'équitation mais Daphné étant une bonne cavalière, il dut se résoudre à réapprendre les bases. Drôle et patiente, elle l'encourageait. Quand Paul eut repris un peu d'assurance, ils empruntèrent les allées forestières du parc.

-Quand es-tu monté sur un cheval pour la première fois ?

-J'avais huit ans. C'était à Marembourg. Je n'étais pas rassuré...

-Tu ne l'es toujours pas !

-Tu crois que c'est le moment de rire de moi ? Cette magnifique bête va s'en rendre compte et ce sera la dernière fois que je monterai un cheval !

-Émeraude est une vraie lady. Elle est idéale pour toi....

-Une vraie lady...

Rire avec Daphné était si facile...

Le soir, on dînait ensemble. Paul parlait peu à lord Brixton et davantage à son épouse, Adela. Celle-ci, alors même que son époux laissait entrevoir son désaccord, trouvait attrayant qu'il fréquentât sa fille. Alistair n'aimait qu’Hector et Achille mais elle, connaissait la littérature ambranienne.

-Je me souviens de Horic Hortiz, un de vos meilleurs poètes.

-Oh, vous l'avez lu !

-En traduction, bien sûr, mais oui, je l'ai lu.

-Il est mort il y a vingt ans. On ne trouve plus ses livres dans mon pays.

-Tout a été traduit ?

-Eh bien, je ne pense pas.

 

18 avril 2024

Battles. Partie 2. Chez les Brixton. Echanges littéraires et amour.

Adela alla fouiller dans une immense bibliothèque qu'il ne cessait d'admirer.

-Tenez, il y a deux recueils de ses poèmes, ici. Vous vous souvenez ? Le Regard ?

Elle le lui lut en anglais. Il le lui récita dans sa langue maternelle.

 

Pour qui a le regard aigu

La solitude est moins totale

Le matin est adroit même si l'aube est blême

N'oublie pas de savoir regarder...

Tu verras l'enfant qui pleure

Et celui qui chante

Et les mouvements de l'air...

 

Quand il eut terminé, elle lui dit :

-Daphné me dit que tout ce qui a trait à l'Ambranie vous touche infiniment. La situation est telle dans votre pays que vous ne risquez pas de pouvoir y retourner avant longtemps. Vous savez, vous devriez remettre au goût du jour certains écrivains oubliés de tous. Traduisez-les et attirez l'attention sur eux !

C'était une proposition intelligente et Paul se sentit inspiré :

-Bien parler anglais, l'écrire, ce n'est pas savoir rendre compte du travail d'un poète ou d'un écrivain...

-Eh bien, travaillez avec un traducteur chevronné, faites une équipe. Ne le supplantez pas au moment de la parution du livre car nous les Anglais nous vous en voudrions, mais faites une préface, une courte biographie...Vous avez le vent en poupe...Vos livres, vos chroniques.

-Horic Hortiz est très élégiaque...Mais oui, ça peut être une bonne façon de mettre l'accent sur ce qui a pu s'écrire dans mon pays.

-Il a écrit de la poésie; ce n'est peut-être pas le meilleur choix. A qui pensez-vous d'autre ?

-Pavel Evdon, Marika Hermer, Walter Domitia...

-Liste non exhaustive ?

-Ah non, c'est sûr...

-Si vous voulez commencer à faire vos recherches ici Paul, cette bibliothèque est à vous. On vous en réservera l'accès...

-Il me manque le vrai traducteur...

-Ah, il n'est pas ici, c'est vrai mais il est impossible que vous ne le trouviez pas sinon à Londres, du moins en Angleterre...

-Il faudra que ce soit un travail précis !

-Ne vous inquiétez pas ! Je vais chercher qui il peut vous conseiller. Et Alistair aussi ! Il descend du Mont Olympe de temps en temps, vous savez ! Je vais moi-même faire mon enquête et Daphné va s'employer aussi. Elle vous admire beaucoup...Ah dites-moi, quel auteur risque de donner le plus de mal ?

-Pavel Evdon, je pense. Ses romans sont très longs et très denses. On ne trouve plus ses livres dans mon pays et il est interdit de prononcer son nom. Kalantica, ce serait bien...Un orphelin qui tombe amoureux de sa cousine puis est ballotté par les événements, la révolution dans son pays...C'est un texte magnifique, d'un lyrisme poignant !

-Si on ne traduit plus les grands auteurs de vote pays...Il me semble que c'est d'importance !

Elle avait raison et il fut radieux qu'elle eût suggéré cela. Il se dit aussi qu'un certain nombre de compositeurs n'étaient plus joués. Dans l'environnement où il se trouvait, il y a moyen de parler en leur faveur...

Daphné fut passionné par ce qu'il lui dit et dès leur retour à Londres, elle promit de se mettre en recherche.

-Bien sûr, il y a cet auteur ambranien mais tu avais bien un autre texte à faire paraître, non ? Tu devrais privilégier ce projet.

-Pas pour le moment. Je veux trouver un bon traducteur. C'est primordial pour mon projet de traduction.

Pour l'heure, elle voulait poursuivre la vie oisive et délicieuse qu'elle menait avec lui au château et dans ses dépendances. Elle adorait guetter la surprise de Paul quand elle le conduisait de pièce en pièce car les meubles les plus beaux et les plus anciens voisinaient avec des œuvres d'art contemporaines. Elle aimait qu'il s'étonne du défilé ininterrompu d'invités, des départs et des arrivées incessants, de la fréquence des spectacles et de leur qualité. Un feu d'artifice, un bal costumé et un repas sur l'eau avaient déjà eu lieu tandis que s'annonçaient un pas de deux dansés par deux jeunes prodiges, un concert de clavecin, un spectacle de mime et un autre d'improvisations théâtrales... Elle le voyait rajeunir, s'habiller avec goût comme il avait su le faire, laisser pousser ses cheveux redevenus bruns. Ses yeux brillaient, il avait retrouvé sa foi en lui-même et avait de nombreux projets...Il l'étreignait avec fougue. Elle adorait qu'il lui fasse l'amour. Elle était grande, c'est vrai mais avait un joli corps, de petits seins hauts qu'il aimait enfermer dans ses mains et une douce toison brune qu'il aimait humer quand, il s'agenouillait devant elle et qu'elle était nue...

Bientôt, ils rentreraient. Son projet de librairie voyait le jour. Elle avait trouvé les locaux et aurait fort à faire quelques mois durant...Quant à Paul, il lui avait bien parlé d'un autre écrit dans la lignée des deux premiers mais il semblait bien plus motivé désormais par ses projets de traduction. Daphné voulait que cet homme brillant lui apparaisse toujours comme un héros. Elle n'imaginait même pas qu'il pût en être autrement.

 

 

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LE VISIBLE ET L'INVISIBLE. FRANCE ELLE.
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